˚⊱ Ces nuits blanches, n'ont jamais été aussi sombres.⊰˚
Ife.
Après le suicide d'Eïlee l'administration du lycée a fini par nous accorder près d'un mois de pause, sous prétexte de nous permettre de "nous remettre" de l'incident. Comme si trois semaines et demi pouvaient effacer l'horreur qui s'était imprimée dans nos rétines ce jour là. Entre le craquement sec des ses os heurtant le bitume, l'écho métallique de l'impact, cette seconde interminable où tout le monde avait compris, trop tard, ce qui venait de se produire.
Pour ma part, ce n'était pas tant le choc de l'impact qui me hantait le plus, mais son regard. Quand j'avais osé m'approcher, avant que les secours ne recouvre son corps, j'avais vu ses yeux grands ouverts, d'un bleu délave, presque transparent. Ce n'était plus le bleu vif qu'elle avait de son vivant, mais une couleur éteinte, comme vidée de toute son essence. Pourtant, il y avait quelque chose de... paisible, là-dedans. Une étrange sérénité, absente depuis des mois. Plus de tension dans ses traits, plus de cette souffrance sourde qui plissait ses paupières chaque matin en classe.
Parfois je me demandais , si dans ses dernières secondes, elle avait ressenti autre chose que le vide, si la chute lui avait paru trop longue, si elle avait voulu revenir en arrière, si elle avait regretté son choix. Mais son expression gelée semblait murmurer le contraire. Et c'était ça, le plus insupportable.
Elle étais déjà partie, bien avant que son corps ne touche le sol.
Comme presque tous mes camarades, j'ai eu droit à la visite de la police chez moi. Les parents d'Eïlee avaient exigé une enquête, ils refusaient d'accepter que leur fille de 17 ans ait pu en arriver là sans raison. Alors les interrogatoires s'enchaînaient, un à un, comme si reconstituer ses derniers mois pouvait ramener son souffle.
L'officier en face de moi avait le regard las des gens habitués à fouiller dans la douleur des autres. Il prenait des notes mécaniques, sans réaction, tandis que je lui racontais ce que je savais. Et c'est comme ça que j'ai appris une chose : le lycée avait tenté de faire passer son suicide pour une chute accidentelle. Comme si on pouvait confondre les deux. Dieu merci, personne n'y avait cru. Pas même la police.
Etant nouvelle, je n'avais pas d'histoire avec elle, pas de rancune ni de loyauté envers qui que ce soit dans cette école. Alors j'ai raconté ce que j'avais vu, les regards méprisants, les ricanements étouffés quand elle passait, les rumeurs qui la poursuivaient depuis des mois. J'ai cité des noms ceux qui l'avaient harcelée, ceux qui avaient alimenté les ragots avec un sourire en coin.
L'inspectrice quant à elle, a hoché la tête, l'air presque désolée. Elle savait, comme moi, que même avec tout ça, ils ne risquaient pas grand-chose. Personne ne l'avait *physiquement* poussés dans le vide. Pas de preuves directes, pas de messages explicites ordonnant "Tue-toi". Juste des moqueries, de l'exclusion, des petits mots cruels glissés dans son casier. Rien qui justifie plus qu'un rappel à l'ordre, une tape sur la main, peut-être une exclusion symbolique si l'affaire prenait trop d'ampleur.
Mais au moins, ils ne s'en sortiraient pas silencieusement.
Pour essayer de me changer les idées , les garçons ont tenté à plusieurs reprises de me faire sortir. Je les voyais depuis ma fenêtre, leurs skates à la main, me lançant des regards insistants et des sourires hésitants.
« Allez, viens ! »
« Juste un tour ! »Mais chaque fois, je secouais la tête, et après quelques minutes de silence, ils repartaient, déçus.

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CARELESS [ En Pause ]
RomanceFuir ! Que cherche-t-il réellement à fuir ? L'homme qu'il est devenu ou ce passé qui le rattrape inexorablement, engloutissant tout sur son passage ? S'éloigner ! S'éloigne-t-elle de son enfance chaotique ou d'elle-même, au risque de disparaître aux...