Chapitre 10 | Inauguration

17 3 0
                                    

Les deux, trois semaines de travaux prévues étaient devenues quatre, puis cinq et finalement huit. Le temps, c'est de l'argent et tout cela commençait à coûter. Heureusement, je ne payais ni Franck, ni Seb. Ils me rendaient service à titre gracieux. Franck avait obtenu une rupture conventionnelle le jour où il avait servi une salade avec un joli vers de terre coupé en quatre qui se baladait dedans. Seb ne passait que le soir.

Quant à mon père, il n'était jamais venu. Jamais. Une excuse par jour ou presque jusqu'à ce que je cesse de lui demander quoi que ce soit. Je l'avais pourtant en travers de la gorge. L'argent, la voiture et les excuses bidons, ça faisait beaucoup.

Malgré tout, « le trocard » prenait forme et on pourrait inaugurer rapidement, presque, comme prévu. Même s'il était déjà bien fêté : les cuites avaient succédées aux cuites pendant toute la durée des travaux. Quasiment tous les jours, quelqu'un venait sur le chantier nous féliciter, nous payer un coup ou nous souhaiter bonne chance. On ne pouvait pas les mettre à la porte sans offrir le verre de l'amitié. En attendant que le brasseur installe les fûts et les pompes à bière, on servait bière bouteille, ricard, petit blanc et vodka comme à la maison. Sur les six semaines de travaux, j'avais bien lâché mille cinq cents euros de tisane.

Monsieur Gerbaulet passait régulièrement. Il était content de voir le restaurant avancer, fier même j'ai cru remarqué. Il nous la jouait grand patriarche, content que la relève soit assurée. On ne savait pas trop de quoi il parlait mais ça lui faisait tellement plaisir. Quand il se pointait et qu'on était déjà bourré, il poussait des gueulantes infernales. Nous accusait de saloper notre avenir, de mettre le restaurant en péril.

- C'est pas possible de se mettre dans des états pareils, sur son lieu de travail. A cette heure-là !

Nous nous prenions des leçons de vie saine par le plus grand pochtron du quartier.

- Monsieur Gerbaulet, vous avouerez que niveau picole, vous ne pouvez pas trop nous engueuler quand même ?

- Mais bien sûr que si, je peux. Je suis plus vieux que vous déjà, alors ça donne des droits. Et je n'ai jamais, jamais vous m'entendez, bu une goutte d'alcool sur mon lieu de travail.

Là, Franck a pas pu s'empêcher :

- Oui enfin avec vos dix verres du midi, vos deux grammes d'alcool vous les laissez à l'accueil ou vous rentrez avec ?

Il gueulait, on le charriait mais ça faisait marrer tout le monde. Franco est passé également, et ça faisait marrer moins de monde. Les autres ne sachant pas que j'avais emprunté au gros ne comprenaient pas sa présence. Y-a eu un peu de gêne mais avec Franco, on ne montre pas longtemps sa gêne.

- Ah, ça prend forme. C'est bien. Je suis content.

- Oui, on bosse à fond.

- Y-a plutôt intérêt non ?

- Oui bien sûr.

- Et quand je parle d'intérêt, je me comprends. Votre intérêt et mes intérêts quoi. Ahahaha.

Il secouait sa grosse carcasse, avec des mouvements outranciers. Mais s'arrêtait sur commande. Il était aussi flippant quand il riait, que lorsqu'il arrêtait. Il a continué sur quelques blagues bien lourdes puis nous a laissé travailler. Un petit rappel à l'ordre. Rien de plus.

Et la veille de l'ouverture, un trois septembre, sans que je sache si c'était volontaire ou le hasard, Blédard est apparu. Costume impeccable assorti à ses manières, arrivée discrète mais pas fourbe. La classe. Toujours la classe. J'aurais donné cher pour connaître son histoire.

- Azzouz, bonjour, bienvenue, ah, ça me fait plaisir que vous soyez passé.

- Bonjour Olivier. Messieurs. C'est la moindre des choses, et j'aime bien voir des dossiers prendre forme et vie.

Une tarte dans la gueuleOù les histoires vivent. Découvrez maintenant