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Lorsque j'en ai marre d'être enfermé dans mon appartement, je prends un livre de ma bibliothèque et je me rends dans le parc qui est juste à côté de chez moi. Je ne suis pas véritablement poussé par l'envie d'être en contact avec la nature, simplement je ressens le besoin de passer du temps dans un grand espace, de me sentir libre. L'inconvénient, bien sûr, c'est que je ne suis pas le seul à avoir ce genre d'idée. Le soleil brille, et même si nous sommes vendredi, il y a pas mal de monde. Les RTT et le télétravail font que les gens ont désormais le loisir de sortir de chez eux tout au long de la semaine. Je connais ce parc par cœur, j'ai donc mon endroit stratégique pour être un maximum au calme. D'abord, le but est de s'éloigner le plus possible des aires de jeu. Les cris que poussent les enfants, qui ne savent pas encore parler mais seulement hurler, me feraient vite regretter l'espace restreint de mon deux pièces. Ensuite, je veux être au bord de l'eau, je m'approche donc du petit lac artificiel, qui n'est pas grand-chose mais, en pleine ville, on ne peut pas demander plus. Enfin, il y a un troisième critère très important.

Si je prends un livre avec moi, c'est pour lire ! Surtout, il me permet de me donner une contenance, c'est une sorte d'alibis qui m'autorise à être présent dans ce parc. Un homme seul, assis au milieu de la foule, qui ne ferait rien à part observer les autres, ce serait assez vite louche aux yeux de tout le monde. Le simple fait d'avoir un livre ouvert devant moi rend crédible ma présence dans ce lieu où l'on vient promener son chien, ses enfants, rire entre amis... La réalité est que je ne possède que cinq livres dans ma bibliothèque, mes préférés, ceux que j'aime relire en boucle. Et surtout, je ne suis pas seulement là pour me plonger dans un bon roman. Mon emplacement stratégique répond à un troisième critère : je suis à un poste d'observation idéal pour regarder les sportifs qui viennent faire leur footing. Étant donné la température, la plupart courent torse nu. Un homme bien foutu, transpirant, en plein effort... j'ai de quoi me faire du bien aux yeux, certains sont de véritables fantasmes sur pattes. Ainsi, si on m'observe de loin, on a l'impression que je lis. En fait, je passe mon temps à jeter des coups d'œil en direction du petit chemin qui longe le lac miniature, pour mater des beaux mâles.


Aujourd'hui, seulement quelques minutes après mon installation, je me sens observé. Je jette quelques regards que je crois discrets. Presque en face de moi, de l'autre côté de l'étendue d'eau artificielle, un mec me scrute. Lui, il n'essaie pas d'être discret, il me fixe. Pourtant, je n'ai pas enlevé mon tee-shirt. Quand je le fais, ce n'est pas uniquement pour bronzer, mais bien pour me montrer, il faut que les heures passées à la salle de sport servent à quelque chose. Dans ce cas, j'accepte d'être maté, puisque c'est un peu le but. Là, ce regard fixe posé sur moi est presque gênant, c'est l'attitude d'un psychopathe. Enfin, je ne dois pas tirer une conclusion aussi hâtive, je n'ai aucune idée de ce que ce mec veut. Sans doute qu'il a envie de venir me parler, qu'il n'ose pas. En fait, c'est assez mignon, ça fait plaisir de savoir que l'on intimide quelqu'un... Je sais, j'analyse beaucoup trop le monde qui m'entoure, ce type est peut-être juste en train de mouiller son boxer en me regardant. Pourtant, il aurait beaucoup plus de raisons de fantasmer s'il se retournait pour mater les sportifs en plein effort, comme je suis en train de le faire. Lorsque je relève les yeux, je croise les siens. Par réflexe, j'esquisse un léger sourire. Erreur fatale !

Prenant cette réaction pour une invitation, le mec se lève et s'approche de moi. Je n'ai vraiment pas envie de parler, je ne suis pas en mode drague, je ne le suis jamais ! Si j'ai envie d'affection, pour dire les choses sobrement, je me rends sur une application. Je crois que jamais je n'ai abordé un mec en direct, je n'en ai pas le courage ou tout simplement pas l'habitude. Les rencontres virtuelles sont tellement plus simples : si on se prend un vent, il suffit de se déconnecter.

– Bonjour.

Lui, finalement, n'a pas froid aux yeux, il y va franchement, il s'assoit à côté de moi.

Rencontres improbablesOù les histoires vivent. Découvrez maintenant