QUATRE ― Charlie

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C'EST EXTÉNUÉE QUE CHARLIE RENTRAIT DE SON TRAVAIL.

Les bras chargés de son matériel, la jeune femme ferme la portière de sa voiture en la poussant avec le pied. Une pochette au sommet de ses affaires glisse mais Charlie le récupère avant qu'elle ne tombe. Elle soupire un bon coup, autant fatiguée physiquement que mentalement.

Elle a eu la mauvaise idée d'aider un collègue en difficulté en lui proposant de s'occuper d'un client. Maintenant, c'est elle qu'elle surcharge. Ce n'est pas comme si elle passait ses journées entières à travailler sur l'agencement de maisons entières ou sur l'ameublement de certaines pièces pour des particuliers. Ses dossiers commencent à s'accumuler sur son bureau à tel point qu'elle dépasse ses heures de boulot.

Tous les soirs, elle ramène un ou deux dossiers pour les avancer entre le repas et le coucher. Parfois, c'est même pendant le week-end qu'elle avance la partie administration. Son rythme de vie lui devient de plus en plus difficile à organiser. Vie personnelle et professionnelle se mélangent, quitte à faire disparaître sa vie sociale.

Fatiguée. Vidée d'énergie.

Elle n'a pas la force de concevoir la commande de ce client. Quelques croquis de décorations pour une salle de vie sont nécessaires, mais Charlie ne trouve plus d'inspiration. La routine a pris le pas sur sa vie entière. Tous les jours, c'est la même chose. Plus rien ne sort de l'ordinaire. Plus rien ne nourrit son imagination.

Au final, qu'est-ce qui la fait se lever chaque matin ? Charlie l'ignore. C'est une question qui traverse son esprit depuis des semaines mais dont elle est incapable de donner une réponse concrète.

Peut-être fallait-il qu'elle tombe sur ce chien.

Le même golden retriever aperçu dans la rue s'est allongé devant chez elle. Ses poils beige baignent dans la boue causée par la récente pluie sur sa pelouse. En entendant la jeune femme arriver, le chien se relève. Il s'assied tel un animal sage comme une image, suivant Charlie avec ses yeux bruns perçants.

— Tu es perdu ? Pauvre toutou...
lui parle-t-elle comme à un humain.

Le temps de déposer ses affaires et de remplir un saladier d'eau fraiche, le golden retriever s'était rapproché de la porte. Ses pattes boueuses laissent des traces sur le perron, mais il n'ose pas franchir l'entrée de la maison. Il se jette sur l'eau lorsque Charlie pose la gamelle à l'extérieur, assoiffé par les longues journées qu'il passe seul.

Charlie s'assied sur les quelques marches menant jusqu'à sa maison. Ce n'est pas sans un sourire qu'elle regarde le chien retrouver de son énergie. Elle pourrait même s'étonner de son rire lorsqu'il vient lui lécher les mains 

— Désolé, je ne peux rien faire de plus pour toi,
s'excuse-t-elle.

L'envie de prendre soin d'un chien n'est pas un problème, mais c'est le temps qui est un frein.

Il serait aussi malheureux qu'elle, enfermé toute la journée dans une maison. Il manquerait autant d'amour qu'à présent à cause de son travail dont elle consacre sa vie entière. L'adopter serait une terrible erreur, pour leurs bonheurs respectifs.

Toutefois, le cœur de Charlie se serre au fur et à mesure de ses caresses. Des larmes brouillent sa vue. Une profonde douleur lui serre la poitrine. Explosant en sanglots, Charlie ne parvient plus à contrôler sa respiration. Elle prend de longues inspirations saccadées pour pleurer de plus belle.

Charlie ne sait même pas pourquoi elle pleure. À cause de son travail ? De son inaction pour le bien-être de l'animal ? Les deux peut-être.

La sensation rêche de ses poils disparaît petit et à petit pour laisser place à de la douceur. Le golden retriever ouvre la gueule pour haleter, comme un sourire qu'il transmet à la jeune femme. Ses yeux se remplissent d'affection tandis qu'il soutient le regard. Il lève la patte pour la donner à Charlie qui se fiche d'avoir des traces de terre sur ses vêtements blancs. Elle serre dans la paume de sa main ses coussinets recouverts de boue.

Ce chien est le seul à la réconforter depuis une éternité.

Soudain, une explosion d'idées se produit dans la tête de Charlie. Des murs couleur crème comme son pelage. Quelques touches de brun de ses yeux pour contraster. Des textures douces grâce à des plaids et des tapis rappelant ses poils. Un peu de végétation par rapport à ses pattes boueuses. Les meubles disposés de façon que la pièce paraisse conviviable, autant que l'animal lui apporte d'amour.

Et s'il suffisait d'une rencontre pour retrouver l'inspiration ?

GOLDEN DAYS (short story)Où les histoires vivent. Découvrez maintenant