DEUX ― Charlie

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CHARLENE RENTRAIT CHEZ ELLE SOUS LES ÉCLATS DU SOLEIL.

Une vieille barrière sépare les deux jardins. Le bois menace de se briser à chaque coup de vent, rongé par la pluie. Du côté gauche, l'herbe verte abonde, finement taillée à hauteur régulière. Bien que l'allée de pavés se révèle étroite, l'espace est soigneusement entretenu. Du côté droit, des parcelles de pelouse sont brulées par les vifs rayons du soleil. Des enveloppes glissent en-dehors de la boîte aux lettres pleine à craquer. Autour de la porte d'entrée, des sacs poubelles sont délaissés.

Charlie se demande comment son voisin peut laisser un tel désordre. Le jardin, c'est la première chose que les personnes voient. C'est aussi la première impression donnée sur le propriétaire de la maison. Jamais elle ne pourrait vivre dans un environnement similaire au sien. La jeune femme ne se qualifie pas particulièrement de maniaque. Méticuleuse serait le mot approprié.

Diego Traian, a-t-elle lu sur sa boîte aux lettres. Jamais son voisin se n'est présenté. Et ce n'est pas comme s'ils se croisaient tous les jours. Comme à ce moment.

Tête baissée, le discret voisin se dirige à pas rapides vers sa modeste maison. Poliment, Charlie s'arrête au milieu de son allée, tournée vers la barrière qui les sépare. Elle hésite à lui faire signe de la main, mais son bras reste baissé.

Bonjour,
salue-t-elle.

Le jeune homme ne lui adresse aucun regard. Il se dirige jusqu'à sa porte d'entrée et s'engouffre chez lui, sans un mot.

Malpoli,
songe la blonde.

Charlie oublie néanmoins sa grossièreté. Elle ne peut pas lui en vouloir. D'après les commérages du quartier, son voisin vit une période compliquée.

Heureusement que la vie de son voisin suffit aux commères - c'est une chose qu'elle s'avoue avec honte. Elle ne supporterait pas être le sujet de ragots dans le quartier.

Charlie n'est pas du genre à ignorer le regard d'autrui. Elle se soucie chaque seconde de l'avis que les personnes portent sur elle. Au bureau. Dans la rue. Dans les magasins. Chez elle. Chaque regard sur elle la fait sentir forte ou faible selon les circonstances. Les inconnus. Ses collègues. Ses voisins. Sa famille.

Elle ne vit que pour les attentes qu'on a d'elle. Ses actions sont toujours le fruit de décisions mûrement réfléchies. Le droit à l'erreur n'existe pas à ses yeux. Tout doit toujours paraître parfait.

Et jamais ce sourire ne quitte ses lèvres. Même triste, les muscles de son visage se contractent pour esquisser un rictus. Charlie est toujours présente pour ses proches, mais elle ne dévoile aucun de ses tracas.

Cette tension quotidienne pèse sur ses épaules. Trente ans que cela dure. Quelques semaines qu'elle s'en rend compte.

Elle s'est effondrée un soir comme un autre. En rentrant du travail, la fatigue fut si intense qu'elle fonda en larmes. Des torrents de larmes coulèrent sur ses joues, inondant son visage d'ordinaire joyeux. Elle s'est laissée tombée par terre, le temps de se calmer. Elle n'avait pas la force de se relever, ni même d'arrêter de pleurer. Cela a duré des heures. Jamais elle n'a autant pleuré de sa vie. Et pour quelle raison ? Elle n'en sait toujours rien.

Imbécile, je suis,
pensa-t-elle.

C'est à partir de cette soirée qu'elle s'est rendue compte de ce qu'elle ressentait au fond d'elle. Son beau sourire n'était qu'une façade. Un mensonge qu'elle s'est construit avec les années. Elle s'est toujours intéressée aux autres, pour au final, s'oublier soi-même.

Malgré son énergie apparente, la soirée qu'elle prépare puise toutes ses forces. Tout doit être parfait pour accueillir ses invités à dîner. Le plat préparé par ses soins, le dessert à finaliser, la décoration à mettre en place, le ménage à effectuer dans toute la maison, et bien sûr, s'habiller correctement. Il ne lui reste qu'une heure pour terminer ces tâches, mais c'est un défi qu'elle relève.

Et c'est avec le même sourire qu'elle termine la journée. Elle se force à être à la hauteur des attentes de sa mère, mais la joie de vivre innée de sa petite sœur, Emma, vient diminuer son anxiété de la journée.

C'est en accompagnant les deux femmes à leur voiture qu'elle découvre l'animal. Flânant autour de la barrière, la lune éclaire ses poils couleur sable. Il renifle le sol avant que ses yeux scintillants dans la nuit se lèvent vers la blonde.

Tu sais à qui appartient ce chien ?
se renseigne sa mère, Karine.

Charlie hoche les épaules. Jamais elle n'a aperçu ce chien auparavant. À sa connaissance, personne du quartier ne possède de golden retriever. Ses voisins sont plutôt à posséder des chats de maison.

Au voisin, peut-être,
suppose-t-elle.

Mais son intuition lui dit que le voisin n'est pas responsable du chien. Pas plus qu'elle. Mais jusqu'à quand ?


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GOLDEN DAYS (short story)Où les histoires vivent. Découvrez maintenant