21 - Destination : Japon

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Printemps 2023


Je vais mourir. Je n'exagère pas, ça fait déjà cinq heures qu'on est dans l'avion, et je trouve surprenant que je ne sois pas déjà mort. Sora a dit qu'il fallait compter environ douze heures de vol pour aller au Japon, il sait de quoi il parle, il y a été à plusieurs reprises, mais malgré tout, je prie pour qu'il se trompe. Je ne supporterai pas sept heures de plus comme ça. Les hôtesses sont adorables, elles nous ont proposé une glace – apparemment, c'est pour nous hydrater –, mais ma voisine est une plaie. Elle parle d'une voix forte aux gens qui font le voyage avec elle et sont sur les sièges devant nous. J'ai vite reconnu que c'était du chinois, aux sons et intonations très reconnaissables. Je n'ai rien contre cette langue, je la trouve assez jolie, mais quelques décibels plus bas, cela me conviendrait mieux.

Je ne sais pas comment elle peut être aussi bruyante sans en être gênée. Moi, je n'ose même pas discuter avec Sora autrement qu'en chuchotant tellement j'ai peur de déranger les autres passagers.

— Je vais mourir, dis-je à voix basse à mon petit ami.

— Tu veux qu'on échange nos places ? J'ai l'habitude des touristes chinois.

— On doit l'entendre à l'autre bout de l'avion, ça sert à rien. Ils sont tous comme ça ?

— Les touristes chinois ? m'interroge-t-il.

Je hoche la tête.

— Tous ceux que j'ai croisés, oui. Dans l'avion ou au Japon, même combat, ils parlent fort, bousculent et dérangent tout le monde.

— Je croyais que les Asiatiques étaient respectueux et soucieux du bien-être des autres ?

Sora rit. Ma remarque pourrait sembler raciste, on ne catégorise pas les gens en fonction de leur nationalité, mais il vient de faire pareil, et lui comme moi nous le permettons en privé. Si nous parlons à voix basse, c'est pour ne pas déranger les gens, mais aussi pour ne pas être entendus. Au fond, nous savons parfaitement que tous les Chinois ne sont pas comme ça, ce que Sora explique justement :

— Tous les touristes chinois ne sont sûrement pas comme ça, mais moi, je n'en ai croisé que des bruyants et irrespectueux.

— Et il a fallu qu'on en ait avec nous dans l'avion, soupiré-je.

Je m'enfonce dans mon siège. Je sens le mal de crâne arriver. Déjà que je n'étais pas très enthousiaste à l'idée de faire autant d'heures de vol, mais avec un tel voisinage, je peux affirmer que ce trajet va être un enfer. Ça l'est déjà !

Je suis vraiment heureux de partir enfin au Japon pour la première fois avec mon petit ami, j'ai hâte de découvrir son pays et je sais que je vais en prendre plein les yeux, mais ce début de vacances commence très mal. Quand je pense que je vais manquer des cours pour ça...

— À quoi tu penses ? me demande Sora.

— Je ne peux pas penser, il y a trop de bruit.

Il rit encore. Je le déteste. Tout ça n'a pas l'air de l'affecter alors que je suis à deux doigts d'exploser et de faire passer cette femme par le hublot. Cela ne me ressemble pas, je suis d'un naturel très calme et plutôt réservé, mais ses amis – ou sa famille, je n'en sais rien – et elle sont si bruyants que le Eliott tout gentil s'est caché pour laisser place au monstre qui supporte très mal le bruit.

— On va manquer des cours, dis-je finalement, tentant de faire abstraction des bruits parasites.

— Tu regrettes ?

— Pas du tout ! m'écrié-je.

— Chut, fais pas ton chinois, se moque-t-il à voix basse.

Cela a le mérite de me faire rire. Cela fait aussi rire le monsieur de la rangée voisine qui a apparemment entendu la remarque de Sora. Lui comme moi réalisons soudain que nous ne sommes peut-être pas si discrets que ça. Je rougis d'embarras et tourne lentement la tête vers ma voisine bruyante.

Elle parle en bougeant les mains, puis rit à quelque chose que le jeune homme devant elle vient de dire. Elle ne remarque même pas que je la regarde. Je crois qu'elle est dans son monde.

— Si ça se trouve, elle comprend ce qu'on dit et elle fait exprès pour se venger, murmure Sora à mon oreille, d'un ton conspirateur.

Cette fois, c'est moi qui ris. La situation est absurde. Ce vol est une immense blague, et je ne sais pas qui est le farceur de l'histoire. Ce que je sais, en revanche, c'est que je me sens plus apaisé après ce moment de rire. Ma voisine me casse toujours les oreilles, et je ne suis toujours pas sûr d'arriver vivant au Japon, mais la colère face à l'irrespect de cette femme m'a quittée. Grâce à Sora.

Une main passe devant mes yeux. Les doigts de Sora serrent deux écouteurs qu'il me tend. Je tourne la tête vers lui et l'interroge du regard.

— On va regarder Fruits Basket, ça fera passer le temps plus vite.

— Je savais que tu adorais cet anime.

Il secoue la tête en soupirant.

Les mois passent, notre relation évolue jusqu'à nous faire traverser le globe ensemble, mais Sora refuse toujours d'admettre qu'il aime Fruits Basket, comme si le reconnaître pouvait lui écorcher la bouche – ou le genou, comme dirait mon père.

Je souris en prenant les écouteurs. Je préfère ne rien dire, il serait fichu d'annuler sa proposition. Je ne lui fais même pas remarquer que s'il détestait vraiment cet anime, il n'aurait pas emporté tous les épisodes sur son ordinateur. Je me contente de mettre les écouteurs dans mes oreilles et de poser ma tête sur son épaule pour profiter d'un moment dans notre bulle, loin du bruit, loin de chez nous, mais tout près du garçon que j'aime le plus au monde.


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Notes

Tous les touristes chinois ne sont pas comme les personnages de cette nouvelle. Mes ami.e.s (qui m'ont aidée pour cette nouvelle) et moi avons juste eu la (mal)chance de ne tomber que sur ce type de profil, ce qui m'a servi d'inspiration ha ha !

Les étoiles de décembre - Histoires bonusOù les histoires vivent. Découvrez maintenant