10 - N'est pas photographe qui veut

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Printemps 2021


— Comment tu fais ? soupire Sora.

— Je fais, c'est déjà bien... grommelé-je.

Ça fait une heure que je tente de prendre une photo. J'y arrive, j'en ai fait une centaine même, le problème, c'est que pas une seule d'entre elles n'est nette. Je suis le roi du flou ! Je ne comprends pas comment je m'arrange, mais il n'y en a vraiment pas une qui ressort correctement.

— Arrête de bouger, fais ton focus, et ça ira.

— Tu me dis ça depuis trente minutes et ça ne marche toujours pas !

— Parce que tu n'écoutes pas mes conseils !

Il m'énerve ! Pourquoi est-ce qu'il m'embête avec ça ? Quelle idée il a eu de vouloir m'apprendre la photographie, de toute façon ? Je n'ai pas pour projet de devenir photographe et je n'ai jamais été bon pour ça. C'est dans mes gênes, je tiens ça de mon père. Je ne compte plus le nombre de photos d'Elisa et moi, enfants, qui font lever les yeux de ma mère au ciel parce qu'elles sont troubles ou qu'il y a une tache noire dessus – résultat d'un pouce placé au mauvais endroit.

Mais mon père a pour excuse qu'il utilisait surtout des appareils photo jetables. Quelle est la mienne ?

Je ne suis juste pas fait pour ça.

— Je n'y arriverai pas, dis-je.

— Bien sûr que si.

— Bien sûr que non. Tu vois bien que je ne m'en sors pas, pourquoi tu insistes ? Est-ce que je te force à faire des trucs que tu n'aimes pas ?

— On parle de la chanson que tu m'as fait écrire ? Et chanter en plus !

Il marque un point. Ça faisait partie de mes vœux de décembre. Pour ma défense, je ne lui avais rien demandé. C'est lui qui a pris ma jarre à souhaits et a décidé de les réaliser. Et puis il a triché, il a choisi une grande partie de ses vœux, alors il aurait pu éviter celui-là, après tout.

— Si tu arrives à faire une seule photo nette, je t'écris une autre chanson et je te la chante tous les jours jusqu'aux grandes vacances.

Je relève d'un coup la tête que j'avais baissée d'agacement. Je décroise les bras.

— Vraiment ?

— Vraiment.

— Tu fais ça parce que tu sais que je n'y arriverai pas ?

Il me sourit. Ça veut dire oui.

Je vais y arriver, il va voir de quel bois je me chauffe ! Je vais lui prouver que je peux faire une photo décente et lui faire regretter de ne pas avoir cru en moi.


Un peu vexé, je reprends l'appareil de ses mains, je passe la sangle autour de mon cou, puis je me mets en position pour faire une photo de lui. Je le vois à travers, il sourit encore de cette façon arrogante qui lui va aussi bien qu'elle ne m'agace.

Je clique.

Rien ne se passe.

Encore une fois.

Toujours rien.

— Si tu le rallumes, ça marchera mieux.

Je sens mes joues chauffer d'embarras. Je suis vraiment mauvais, ça dépasse l'entendement là...

Je me dépêche d'allumer l'appareil, puis je recommence, mais la photo est encore une fois floue.

Après dix prises supplémentaires – toutes ratées parce que mon idiot de copain ne me facilite pas la tâche et bouge en permanence –, je soupire.

— Il faut croire que tu n'es pas fait pour ça, dit Sora en haussant une épaule, prêt à récupérer son précieux.

Je m'écarte pour l'en empêcher et je fronce les sourcils de concentration en regardant l'appareil. Les conseils, que j'ai écoutés d'une oreille distraite parce que ça ne m'intéressait pas, reviennent un par un. J'essaye de tout emboîter, puis je me repositionne. Devant moi, il y a un couple sur l'une des marches de notre place. Ils se tiennent la main et discutent en se regardant amoureusement. Ils ne bougent pas trop, je me dis que je devrais réussir à immortaliser ce tableau.

Je rate mes trois premières photos, mais enfin, à la quatrième prise, un miracle se produit.

— Elle est nette ! m'écrié-je en regardant l'écran.

— Fais voir ?

Sora tourne l'appareil vers lui, se rapprochant ainsi de moi, car la sangle est toujours autour de mon cou. Lui ne l'accroche pas toujours, mais il avait peur que je casse son petit bijou. J'étais vexé, mais après avoir manqué de le faire tomber deux fois, j'ai dû me rendre à l'évidence : je suis maladroit et il est préférable que l'appareil soit bien accroché.

— Tu as raison, c'est net.

— J'ai réussi !

— C'est dingue que ça marche à tous les coups.

— De quoi ?

— Te provoquer.

Le souvenir du match de badminton me revient en mémoire, et je réalise qu'il a raison, dès qu'il titille mon ego, je me transforme.

Quelque chose me dit que Sora va souvent se servir de ça pour me faire faire ce qu'il veut si je ne change pas vite de comportement... Mais j'ai mieux à penser pour le moment. J'ai réussi et je mérite une récompense.

— Prêt à me chanter une chanson quotidiennement ?

Mon petit ami grogne, moi, je souris.

Qui aurait cru qu'apprendre la photographie serait aussi intéressant ? Malgré tout, à l'avenir, je vais compter sur Sora pour capturer tout ce qui me plaît. Une photo réussie sur plus de cent, je ne m'avance pas en disant que ce n'est pas une activité pour moi, même si elle a fini par me réussir aujourd'hui.

À force d'acharnement, on obtient des résultats.

Les étoiles de décembre - Histoires bonusOù les histoires vivent. Découvrez maintenant