Le four crématoire

199 24 4
                                    

Il entra. Bon sang, je le trouvais appétissant! Et, d'une manière ou d'une autre, j'étais certain que si je buvais son sang, je serais guéri de cette douleur atroce. En plus, il fleurait bon la vodka, et j'avais certainement besoin d'un petit remontant. Puis il a vu Hans étendu sur le plancher, juste à côté de la table de travail. Bonne poire, il se pencha pour l'aider.

Trente secondes plus tard, j'étais assis contre la table, du sang sur moi, me léchant les lèvres.
Le soulagement physique était bienvenu, mais la conscience choisit ce moment là pour faire irruption. Je venais de butter deux hommes, j'avais des canines, et je buvais du sang.

Tout mon plan de travail régulier, de retour aux études, de changement de cercle social, tout ça fichait le camp.

Je crois que j'ai hurlé un peu à ce moment là. Je dis je crois, parce que je travaille sur mon estime de moi et que hurler quand on est dans une pièce close avec deux cadavres semble contre-indiqué, sinon franchement idiot.

Je me suis relevé. Ni Hans ni Reihnard n'avaient mérité leur sort. En les regardant, j'eus une courte méditation sur la fragilité de la vie, avant de revenir à un examen de ma situation. J'avais réalisé plusieurs examens de ma situation dans les dernières années. C'était une démarche très saine, qui permettait d'identifier ses problèmes afin de leur trouver des solutions pratiques. Si un problème était trop grand, il fallait le décomposer en plus petits, et s'attaquer en priorité à ceux sur lesquels on avait un certain contrôle.

Je ne dis pas ça par cœur, j'ai consulté mes notes.

J'ai donc récapitulé. J'avais deux problèmes:

1. J'avais tué deux types.

2. J'étais un vampire.

Être un vampire, je n'y pouvais rien; je me suis donc concentré sur les cadavres.

Je n'ai pas eu à réfléchir longtemps; dans la mesure où j'étais obligé de camoufler deux meurtres, j'étais juste à l'endroit approprié. À côté, il y avait ce qui ressemblait fort à un four crématoire. Je n'avais jamais utilisé de four crématoire, mais ce ne devait pas être beaucoup plus compliqué que de réparer une voiture. Je choisis de commencer par Hans. Je dissimulai le corps de Reihnard dans un cercueil, au cas où quelqu'un entrerait dans la pièce durant mes préparatifs. Il devait peser le double de mon poids, mais je le soulevai sans le moindre effort, comme un vulgaire chat. Croyez-le ou non, ça ne pas m'a pas réconforté du tout.

Et d'abord, pourquoi étais-je devenu un vampire? Il fallait, en principes, qu'un autre vampire m'attaque et boive mon sang — c'était comme ça dans les films, si je me rappelais bien. J'ai eu une pensée pour Reihnard; si je le laissais en paix, allait-il devenir un vampire aussi? J'avais beau regretter l'avoir tué, je ne souhaitais pas nécessairement le voir revenir à la vie. Pas comme ça.

Hans, bien sûr, était encore plus simple à déplacer; je pouvais le soulever d'une seule main. Je plaçai son corps avec une dévotion relative dans une sorte de cercueil en carton rangée près du four, puis j'ai placé le tout sur le tapis métallique.

Il me fallut un bon moment pour mettre le four en marche. Je m'y suis repris à quatre fois je crois, simplement parce que je ne voyais pas de flammes surgir dans le four, comme dans les films. En approchant la main, je pouvais pourtant constater qu'il était chaud — très chaud. Alors je me suis décidé à tenter le coup.

J'ouvris la porte du four, et sentis immédiatement une bouffée de chaleur intense qui me fit reculer. Je regardai un moment le tapis roulant, cherchant le moyen de le mettre en marche. J'étais distrait par ma propre nervosité, et aussi par les bruits qui venaient de la boîte.

Le jour, où plutôt la nuit, où je suis devenu un vampireOù les histoires vivent. Découvrez maintenant