CHAPITRE 3 - PARTIE 2

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" Hier mon corps scarifié rampait sur le dallage
Et je cherchais des yeux un couteau de cuisine
Du sang devait couler, mon corps gonflé de rage
Secouait péniblement les os de ma poitrine. " - Houellebecq

Il entre sans frapper, et la porte se referme en grinçant. Il fronce les sourcils. Il avait pourtant dit à Manuel l'autre jour, de venir mettre de l'huile sur les gonds. Bon. Il le fera lui même sinon. De toute façon ce mec a toujours été un branleur de première, qu'il lui obéisse aurait été un miracle. Il laisse tomber son manteau sur un meuble, et retire ses chaussures. L'appartement est parsemé d'épais tapis. Ils font de la poussière, mais elle aime bien, alors il ne dit rien.

Il s'avance dans le couloir, tâtonne dans le noir avant de pénétrer dans le salon. Elle est assise sur sa chaise, le nez dans un magazine de mots croisés. Bien sur, elle dort. Il avance, fais assez de bruit pour qu'elle se réveille, mine de rien. Il rallume une bougie dont la flamme vacillante n'a pas résisté à son entrée et remet en place une icône de la vierge, qui s'était cassé la gueule sur le canapé.

" Harry ? Tu es déjà là ?
- Il est cinq heures trente.

Il hoche doucement la tête et elle remet ses lunettes, confuse. Bien sur. Il est cinq heures trente. Elle était concentré sur ses mots croisés, elle n'a pas vu le temps passer. Il acquiesce sans rien dire. Il est fatigué.

- Tu veux sortir les cartes ?
- Ok.

Elle fronce un peu les sourcils. Elle ne comprend rien à ses mots là. Ok. Il ne peut pas dire oui, comme tout le monde ? Elle le regarde se lever, se glisser jusqu'au tiroir et y chercher le paquet de cartes. Il est un peu trop grand. Un enfant dans un corps d'adulte. C'est toujours ce qu'elle pense. Quel âge as t'il déjà ? Personne n'en sait plus rien. Et elle encore moins. Sa mémoire, elle flanche salement.


Harry revient et s'assoit face à elle. Ils font une partie en silence. L'odeur des bougies à la vanille est rassurante, mais presque écœurante. Il ne s'en préoccupe plus depuis longtemps maintenant, pourtant ce soir, il se sent mal. Il perd. C'est peut être ce qui lui met la puce à l'oreille. Harry ne perd jamais aux cartes. Il se passe quelque chose. Elle repose ses lunettes et le fixe sans rien dire. Son regard se pose sur les murs criblé de photos de ses petits enfants et d'icônes bibliques, il la fuit.

- Quelque chose ne va pas, Harry ?
- Non. Tout va bien.
- Ashley va bien ?
- Oui. En forme.

Il fait un drôle de sourire, un peu en coin. En forme. C'est le cas de le dire. Elle ne demande pas de détail, tout le monde sait dans l'immeuble de toute façon. Il mélange à nouveau les cartes. Il ne parlera pas ce soir, de toute évidence. Tant pis, elle attendra.

- Ton inscription à l'académie avance ?
- Je n'ai rien envoyé.
- Harry ! C'était une chance unique de-
- Je n'ai plus d'inspiration.

Elle soupire un peu. Plus d'inspiration. Qu'est ce que c'est que ces sornettes encore ? Parce qu'il faut la commander, l'inspiration ? Quand on est doué comme lui, on a pas besoin de ça pour faire de belles choses non ? Bien sur il ne lui explique pas, elle ne comprendrait rien.

- Andrews m'a dit que Matt était rentré hier.
- Oui.
- Il va bien ?
- Comme ça.

Elle grogne un peu. Harry n'a jamais été très bavard mais ce soir, il bat des records. Elle n'est peut être qu'une vieille femme qui radote, mais quand même, il pourrait faire un effort. Et puis soudain, il pose son jeu et la fixe. Ses grands yeux verts n'expriment rien de particulier, mais elle sait pourtant qu'il va lui poser une question importante. Elle est contente.

- Madame Berry. Vous vous rappelez ce que vous m'avez raconté l'autre soir ?
- ... non. C'est vague.
- Mais si ! L'histoire du... Enfin votre rencontre avec Marcel.
- Ah... Le mot sur la cabine téléphonique ?

Elle pouffe un peu de rire, ce qui fait un bruit étrange puisqu'elle porte un dentier. Harry ne dit rien.

- Oui, je m'en souviens.
- Bien.

Il reprend son jeu de carte et elle se traite intérieurement d'imbécile. Harry n'est pas un gamin facile. Il ne se confie peu, et elle vient de perdre sa chance de le voir raconter ce qui le tracasse. Elle insiste.

- Harry, tu voulais me dire quelque chose.
- Non, c'est bon. Laissez tomber.
- Harry.
- Non.
- Harry !

Il se lève d'un bond et le jeu de carte tombe au sol. Un temps. Un silence. Elle sourit tranquillement. Il se laisse retomber sur la chaise et se prend la tête entre ses mains. Elle a l'impression qu'il pleure, mais il respire simplement fort. Il fait toujours ça quand il est contrarié. Un temps. Un silence.

- J'ai fait pareil que lui. J'ai écrit sur un banc. Au marqueur indélébile.
- Un mot d'amour ?
- Je n'ai personne à qui écrire un mot d'amour.
- Quoi alors ?
- Ce n'est pas important.

Elle n'insiste pas. Harry relève la tête et repousse son imposante masse de cheveux brun qui le gêne pour mieux voir la vieille femme.

- Je peux fumer ?
- Non.

Il fait la moue mais n'insiste pas. Elle dit toujours non. Il ne comprend pas pourquoi. La pièce est déjà tellement enfumé avec toutes les bougies qu'elle ne sentirait même pas la différence. L'odeur peut être, mais l'immeuble pue tellement que ça n'aurait pas d'importance. Enfin.

- Et alors ?
- Alors quoi ?
- Eh bien... Ton mot. Sur le banc.
- Quelqu'un a répondu. Deux fois.

Il a un peu hésité sur les mots. C'est là que ça devient important bien sur. Quelqu'un a répondu. Elle sourit. C'est comme dans les romans qu'elle lit.

- Et qu'est que la personne a marqué ?
- La première fois, " merci ".
- Merci ?
- Oui.
- Qu'est ce que c'était ta phrase Harry ?
- Aucune importance. Mais le merci n'avait aucun rapport en tout cas.
- D'accord. Et ensuite ?
- Ensuite, la personne est revenu, et a marqué " Je suis là. "

Elle hoche lentement la tête, à la manière d'un sage des temps anciens. Harry ne dit plus rien. Il ne sait pas si il a bien fait d'en parler, mais madame Berry est la seule à qui il pouvait dire ça. Angelo se serait foutu de sa gueule. La vieille tousse et demande à nouveau.

- Tu as écris une réponse ?
- Non. J'ai lu et je suis parti. Il n'y avait personne dans le parc.
- Tu es déçu ?
- Pourquoi je le serais ?
- La personne a marqué " je suis là " et est ensuite parti.
- Je ne suis pas déçu, je pense juste que je suis un peu con.
- Tu n'as aucune raison de penser ça.
- Hm. Bon. Je vais devoir y aller maintenant. "

Il se lève maladroitement et range le paquet de cartes. Il n'ont pas joué longtemps aujourd'hui, mais la vieille madame Berry est content. Quelqu'un a entendu Harry. Et il était temps que ça arrive.

Sensations - Larry StylinsonOù les histoires vivent. Découvrez maintenant