Chapitre 23

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Henri ne s'attarda pas plus d'une seconde dans la cabane en la trouvant vide. Il abandonna tous ses sacs près de la porte et partit en direction de la rivière avec l'envie pressante de revoir Mia.

Mais elle ne répondit pas à son appel.

Elle dû lutter de toutes ses forces pour ne pas suivre le son de sa voix, même lorsqu'elle se brisa en même temps que son cœur. Elle était adossée derrière le rocher, cachée et invisible. Ses bras fermement refermés autour de ses genoux, elle enfonçait son visage dans ses coudes pour étouffer ses larmes. Mia s'était promis de rester là où était sa place. Peu importe à quel point elle s'était sentie bien, à quel point elle s'était sentie en sécurité, il fallait qu'elle le libère.

Même si la forêt était devenue glaciale, même si chaque respiration envoyait un nuage brumeux dans la nuit froide. Même si elle entendait les appels menaçants et terrifiants du spectre de son bourreau qui la cherchait jusque dans ses songes. Ses bleus, ses écorchures et ses blessures étaient revenus. Sa gorge était douloureuse et chaque déglutition avait le goût du sang. Car elle revivait cette nuit fatidique en boucle, prisonnière de son enfer personnel.

Elle n'aurait plus jamais de cesse de se cacher, de lui, de la mort, d'Henri.

Mia n'osait même plus se demander ce qu'elle avait pu faire, et à qui, pour mériter ce sort.

Ses souvenirs les plus doux ne gagnaient pas les luttes inégales contre ses démons les plus féroces. Et l'âme errante s'accrochait à l'obscurité en ignorant les appels d'Henri qui la suppliait de revenir vers la lumière.


- Mia ? appela encore Henri. Réponds-moi , je t'en prie.


Mais voilà six jours qu'il revenait immanquablement à la rivière sans jamais la trouver. Il avait l'impression d'avoir vécu un rêve qu'il ne savait plus laisser s'envoler. Il devenait fou. Elle lui manquait comme un membre fantôme, il se réveillait la nuit en ayant l'impression de la sentir, là dans ses bras, son parfum, son souffle, la caresse de ses cheveux sur son torse.

Et chaque fois, le même constat.

Mia n'était plus là.

Cette fois, il était venu à la tombée de la nuit. Et il ne savait plus quoi faire pour qu'elle revienne. Le pouvait-elle ? Était-elle partie volontairement ? Ou la force mystique qui l'avait mise sur son chemin lui avait-elle arraché aussi simplement qu'elle lui avait donné ? Il ne comprenait toujours pas le sens de tout ça, il savait juste qu'il ne voulait pas s'habituer à cette nouvelle réalité sans magie, sans Mia.


- Mia reviens, j'ai besoin de toi, supplia-t-il.


Ses mots atteignaient Mia comme des lames affutées. Elle restait prostrée, effrayée, déchirée, brisée, derrière le voile blanc qui les séparait.


...


Les appels d'Henri n'atteignirent pas que Mia, car la forêt n'accueillait pas que leurs deux âmes égarées.

Une ombre rôdait en silence entre les arbres, elle connaissait ces bois par cœur, elle venait s'y perdre souvent, la nuit. On aurait pu croire qu'elle cherchait quelque chose qu'elle avait perdu il y a longtemps, quelque chose de précieux qu'elle ne voulait pas abandonner. Mais l'ombre n'avait pas ce genre de cœur. Elle ne prenait soin de rien.

Maxime cru rêver en entendant l'écho lointain du prénom de sa chose. Il cru devenir fou quand il l'entendit à nouveau. Et il commença à courir dans sa direction en l'entendant pour la troisième fois.

« Mia, j'ai besoin de toi ! »

Il aurait juré qu'il s'agissait là de ses propres supplications ! Mais pour lui, Mia n'était pas perdue, il savait où la trouver. Car c'est lui qui l'avait mise là.

Et il revenait inlassablement lui déposer des fleurs qu'il laissait pourrir les unes après les autres comme s'il n'avait jamais finit de l'enterrer, comme s'il continuait de la recouvrir pour la cacher au monde et la garder pour lui seul. Il déposait ses bouquets de fleurs arrachées, décapitées, cassées. Elles mourraient en quelques jours, 3, peut-être 4. Elle se décomposaient sous la pluie, sous la neige, sous le vent, sous le soleil. Et il revenait, il en rajoutait de nouvelles dans un cycle infernal. Un cercle vicieux. Incapable de laisser sa chose en paix.

Le faisceau de sa lampe se balançait follement au bout de son bras tandis qu'il courrait à vive allure pour atteindre la rivière. Il y a onze ans, une autre course folle l'avait mené à cette rivière, quand le prédateur avait traqué sa proie. Qui pouvait savoir que Mia était là ? Qui pouvait l'appeler ainsi ? Il voulait le découvrir, il le devait, il sentait la flamme vive de sa jalousie se rallumer au plus profond de son être.

Henri allait encore appeler Mia quand il vit une lumière lointaine qui s'agitait au loin derrière les arbres. Il plissa les yeux pour essayer de distinguer ce qui semblait se rapprocher de lui. Et, le prenant par surprise pour l'entraîner en arrière, une main glacée se plaqua sur sa bouche. Il fut emporté vers la nuit à l'opposé de la lumière folle qui s'approchait toujours. Et quand il fut caché quelques mètres plus loin, pratiquement poussé sous un tronc creux échoué sur deux rochers humides, étalé dans l'eau froide, il sentit une masse tremblante et essoufflée s'allonger sur lui sans jamais l'autoriser à parler.


- Pas un bruit je t'en supplie, je ne veux pas qu'il te fasse de mal, Henri ne dis rien, murmura la voix terrifiée et suppliante de Mia.

MinuitOù les histoires vivent. Découvrez maintenant