12h01 : Nous écrivains et acteurs des légendes

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Mon frère,

Cela fait maintenant trois mois que nous errons dans cette montagne. Bien que de nature optimiste, je ne peux user d'un autre mot ; car c'est bien ce que nous faisons : errer. Nous n'avons aucune piste. Le loup noir qui a tant occupé nos légendes et pour lequel nous prions ne se montre pas. La plupart, pourtant parmi les plus fervents croyants, nous traitent de fou. 

Attraper un dieu ? En effet, nous devons l'être.

Pourtant, à cet instant où je t'écris cette lettre, les mains gelées et le souffle glacé, nous poursuivons notre périple. D'aucuns disent que cette bête n'est pas notre dieu, seulement un loup plus gros que les autres ; d'autres chuchotent à l'abri des oreilles indiscrètes que ce serait bien lui en quête d'une âme.

Mon frère, plus j'en apprends sur nos ancêtres dont les vestiges dorment sous le linceul blanc de la neige, plus je me rends compte que notre interprétation des textes sacrés a changé. Je commence à me demander si ces scènes symboliques, dessinant des lieux d'un temps depuis longtemps dépassé et aux conséquences terribles, ne sont pas plus réelles qu'abstraites et symboliques.

Peut-être que notre dieu recherche bien une âme à cause de cette évolution de notre interprétation des textes. Peut-être que par sacrifice de péchés pour laver notre prochaine vie, les anciens parlait non pas de pardon symbolique, mais de sacrifice de chaire et de sang ?

Mon frère, si la rumeur et vrai et si je ne suis pas fou, j'ai bien peur que ce loup ne soit le fantôme d'un pan de notre passé qui nous dépasse et qu'un sacrifice est quémandé depuis bien trop longtemps.

Gyosun


À la lecture de ces mots, le jeune homme rangea le papier dans la longue manche qui constituait son manteau. Il espérait que son frère, dont la détermination jouait dangereusement avec la folie, ne risquait pas sa vie à la poursuite de ces chimères. Ce n'était pas vraiment qu'il ne le croyait pas, mais sa tendance à blasphémer de plus en plus leurs textes sacrés l'inquiétait. Il allait même jusqu'à coucher ces théories... ces sacrilèges sur du papier et à les envoyer ! Si la chambre des prêtres venait à tomber sur ces lettres, il serait à coup sûr exécuté ou dans le meilleur des cas, il finirait ses jours à croupir en prison.

Le jeune homme releva la tête et prit une profonde inspiration. Son frère était l'aîné de la famille, mais il avait tout sacrifié pour ces études et ses théories. Sa passion pour le passé avait pris le pas sur son avenir et rapidement, son père l'avait déshérité. C'était donc finalement lui, le cadet de la famille, qui avait hérité de l'entreprise familiale de pêche.

Sa pirogue voguant paresseusement entre les longues algues qui remontaient jusqu'à la surface, il se dirigea pagaie en main vers le large. Entre les deux montagnes jumelles, là où, dans leur bras, naissait la grande capitale de Kar-Min se nichait également les cotés de la mer âgée.

C'était le lieu idéal de pêche : les poissons et autres créatures marines jouaient à cache-cache parmi les multiples îles qui composaient l'ensemble du pays. Armée d'une pirogue et de son ami emplumé, il sillonnait ce territoire marin d'un coup de pagaie mesuré afin de ne pas effrayer la faune marine.

— Le tout est d'imiter les rares vagues et fuites de vents pour disparaître aux yeux de nos amis, chuchota-t-il en relevant sa rame.

Time FamilyOù les histoires vivent. Découvrez maintenant