Patrino (Vincent Leclercq)

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Dans un lointain avenir, une bien étrange symbiose s'est instaurée entre les Villes et leurs habitants. Mais qu'arrive-t-il lorsque gronde le spectre de la surpopulation ? La solution semble évidente, quoique...

Patrino

Le sol trembla sous les pieds de l'urbestro. La tasse de thé se renversa. Patrinohejmo, sa Ville, souffrait. Et son rôle de maire était de l'apaiser, de la rassurer. Elle l'avait choisi. Il caressa doucement la paroi derrière lui. Tu es là pour nous, nous sommes là pour toi.

Son assistante entra. « Non, rien de cassé », anticipa-t-il. Elle entreprit de nettoyer le sol. « Oui, je veux bien un autre thé », répondit-il à sa question formulée avant de poursuivre : « Les médecins-urbanistes sont en chemin ? » « Ils arrivent. » Elle quitta la pièce, laissant le maire seul avec la mère-foyer.

Il n'y avait aucune trace dans aucune archive d'un précédent. Les Villes naissaient, les Villes mouraient. Tout le monde le savait, pourtant aucun homme et aucune femme n'avait assisté à la mort ou la naissance d'une Ville depuis des millénaires. C'était la première grossesse depuis qu'ils avaient commencé à consigner leur histoire. Et Patrino le lui avait confié : elle non plus n'avait pas souvenir d'un tel événement parmi ses semblables ; elle avait tout oublié de sa propre naissance.

*

Personne ne savait comment c'était arrivé ; pas même l'intéressée. Mais on n'en ignorait pas la raison : la pression démographique était importante, Patrino ne pourrait bientôt plus s'occuper correctement de tous ses enfants-habitants. Alors elle l'avait juste su, et l'urbestro l'avait su, puis tous les êtres vivant en elle l'avaient su.

C'était pendant la migration de printemps.

/* De mémoire d'hommes, ces derniers ont toujours vécu dans les Villes. De mémoire de Villes, ces dernières ont toujours hébergé des hommes. */

Alors on avait organisé une fête. Puis les oiseaux étaient partis apporter la nouvelle dans toutes les Villes. Celles du sud étaient jeunes, aucune n'avait connu la maternité et les infanohomoj restaient dans l'inconnu.

Un oiseau finit par revenir après un long voyage. Une vieille cité de l'hémisphère nord qui entamait sa migration automnale lui avait conté sa grossesse, des millénaires auparavant.

Ces informations étaient précieuses, mais peu fiables. D'aucuns considéraient les Villes du nord séniles : certaines prétendaient avoir vécu l'arrivée des hommes et connu les Alij. Ces non-hommes vivaient auparavant dans les Villes, selon le mythe. Un mythe sans documentation historique, entretenu uniquement par les divagations de quelques Villes vieillissantes et à l'agonie.

*

Elle souffrait et ce n'était pas normal. Elle le savait, et l'urbestro le savait. Depuis quelques jours sa douleur faisait trembler le sol régulièrement après des mois sans trouble. À l'approche du terme il semblait y avoir des complications.

« Les urbetokuracistoj sont là. » L'assistante l'avait sorti de sa torpeur. Les médecins-urbanistes suivaient la grossesse depuis le départ. Ils pouvaient aider. Ils devaient aider. Ils vont t'aider. Ils s'étaient toujours bien occupés de la Ville-Mère ; ils allaient s'occuper de la Ville en gestation de même. Ils vont l'aider. « Faites les entrer. »

Les trois médecins se présentèrent sans plus de cérémonial, la doyenne en tête, suivie de sa nièce et son neveu. Tous portaient la blouse bleue de leur caste. Les mots étaient superflus, ils savaient déjà. Le maire était celui dont le lien télépathique avec la Ville était le plus fort, mais tout infano possédait ce lien. Dans une moindre mesure tout le monde communiquait avec Patrino, et personne n'ignorait les derniers événements relatifs à sa condition.

L'Homme de demainOù les histoires vivent. Découvrez maintenant