Mardi

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Ce mardi au moins, Zoé est là quand j’arrive au parc. Quand je lui ai expliqué la réaction d’Elsa hier, elle a conclu l’appel en disant que c’était pour le mieux. On s’est pas encore reparlé, mais je connais assez bien ma meilleure pote pour savoir qu’elle m’attend de pied ferme pour m’en dire plus. Ça me met un peu mal à l’aise, mais je préfère encore ça que de la savoir en train d’explorer la gorge de son Théo… Heureusement, il fait du foot tous les mardis et Zoé a horreur de ça.
Je me poste devant mon amie penchée sur Candy Crush pour tuer le temps. Elle relève la tête et écarquille les yeux avant de se lancer dans une tirade sur ma nouvelle coupe. J’y pensais même plus, et me voilà sauver des ragots in extremis. Enfin, c’est ce que je crois au début, car Zoé se met en tête de me relooker.
« Oh, t’es pas marrante, Jenny ! Avec le corps que t’as, tu pourrais avoir tous les mecs que tu veux… En portant une petite perruque blonde par exemple ! Sur ta peau presque noire, ça ferait trop stylé !
— Non, merci. Le but c’est d’être tranquille. Et tu sais bien que c’est pas mon truc.
— Mais là, y a pas de produits chimiques.
— Laisse tomber, je te dis. »

Mon vœu est exaucé quand Elsa a le malheur d’apparaître dans notre champ de vision.
« Non mais regarde-la, cette petite menteuse. À courir comme si de rien n’était. Quand je pense que je me suis déshabillée devant elle dans les vestiaires… »
Zoé continue sans se rendre compte que je réponds rien. La vérité, c’est que je me sens mal pour Elsa que sa vie soit déballée et critiquée comme ça — sans parler de ce que j’ai pu m’imaginer en voyant Zoé se déshabiller dans les vestiaires du collège. Elle me déçoit un peu ; après tout, je me souviens encore du goût de sa langue assaisonnée de cannabis et de tabac. Si Théo savait ça, il irait sans doute raconter des trucs sur elle aussi…
Et puis, même si je peux toujours pas digérer ses remarques sur mon Pongo et son « énergie sauvage » pour dire poliment que c’est un bâtard, j’avoue que je me sens plus proche d’elle maintenant. Après tout, on a toutes les deux un faible pour la même fille…

« Allez, arrête, Zo. »
Les mots sont sortis avant que je m’en rende compte. Zoé est choquée : je la contredis jamais, faut dire.
« Tu vas pas prendre sa défense, quand-même ?
— Non, mais c’est bon, elle est rentrée chez elle depuis au moins cinq minutes, là ! On peut parler d’autre chose ?
— Nan, t’es chiante, ce soir, je rentre chez moi. »
Je connais son manège par cœur. Depuis toute petite, quand on se chamaille, elle fait une sortie théâtrale pour que je m’excuse. Ça marche à tous les coups : je la laisse faire quelques pas, je la rattrape et on se fait un câlin de réconciliation. Bon, depuis quelques mois, j’imagine une suite alternative, mais ça reste dans ma tête.
Pas cette fois. Quand elle se retourne (enfin, je suppose qu’elle s’est retournée vu que Perdita, sa teigne de yorkshire, piaille pour rentrer manger), tout ce qu’elle voit, c’est mon dos et les fesses dodues de Pongo qui s’éloignent d’elle.

Entre chien et loupOù les histoires vivent. Découvrez maintenant