2- Le premier héritage.

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            — Comment ça, comme un sac ?

            — C'est le meilleur comparatif que j'ai pu trouver pour désigner... ça.

            Helen fit un geste dépité du doigt de bas en haut. Elle montrait Calliopé de la tête aux pieds qui grommela en réponse en se regardant.

            — Bha quoi, je ne vois pas de souci, moi...

            Calliopé était vêtue comme de coutume, en effet. Elle portait des bottes de randonnée qui avaient vécu des jours meilleurs longtemps auparavant, une paire de jeans informes, une tunique à col roulé et par-dessus le tout, un gros blouson de montagne rouge et usé.  L'écharpe en cachemire aurait pu être considérée comme l'accessoire de goût, mais vu que c'était celle qui la suivait partout dans ses expéditions, son état avait plus de similitudes avec une vieille serpillère qu'une étoffe de luxe. De son point de vue, elle ne dénotait pourtant guère du reste du monde qui attendait sur le quai du métro Saint-Michel. De toute manière, sa garde-robe était limitée à des variantes de son accoutrement du moment, qui ne changeait que pour s'adapter aux climats de ses voyages. Ne s'y trouvaient pas plus robes ou jupes que bijoux ou lingerie.  La seule exception était un vieux tailleur-pantalon qu'elle avait dû porter deux fois et ça datait de son doctorat.

            Helen jetait elle aussi un regard distrait sur la foule bigarrée du quai, de son point de vue vêtu n'importe comment dans l'immense majorité des cas. Elle accompagnait Calliopé pour son rendez-vous avec le notaire afin de régler les affaires d'héritages de sa mère. La jeune femme n'avait pas refusé la proposition d'Helen de lui tenir compagnie pour la journée. Elle n'essayait plus de cacher à quel point elle pouvait vivre mal ce décès ; il ne restait plus qu'elle des Meliochev, Aliska en avait été la dernière membre de sa famille et elle s'attendait qui plus est à n'hériter que de dettes ; ce qui était son second sujet d'angoisse : jusqu'ici, elle n'avait jamais eu le moindre problème financier.

            L'archéologie ne rend pas riche. Calliopé n'avait jamais demandé à sa mère, officiellement simple institutrice, d'où celle-ci tenait les fonds avec lesquelles elle avait veillé au bien-être de sa fille et au financement de ses études. La vieille famille Meliochev a toujours été très aisée, voire riche, et ce même aux temps difficiles du National-Communisme de Ceausescu.  Si Calliopé travaillait et était autonome depuis une petite poignée d'années, la majeure partie de ses fonds propres finissait dilapidée  dans ses dangereuses chasses aux manuscrits anciens. Et si elle se faisait rétribuer grassement par des musées et des collectionneurs, cela ne couvrait qu'à peine ses frais.

            Helen se tourna à nouveau sur Calliopé qui s'était perdue dans ses pensées.

            — Je ne dirais pas que cela manque affreusement d'élégance ; on ne soulève pas l'évidence. Ça n'a simplement aucune féminité ; et quant au style, je suppose qu'il serait adapté à quelque randonnée dans des montagnes perdues peuplées de ruraux arriérés. Mais nous sommes à Paris ; un effort s'impose non ?

            — On ne va pas à une réception mondaine, hein.  De toute manière, je n'avais que ça à me mettre.

            — Hé bien justement.

            — Justement quoi ?

            — Pourquoi ne pas y remédier ? J'ai pris toute ma journée pour vous accompagner et je doute que notre rendez-vous l'occupe plus que brièvement. Selon votre agenda, vous n'avez aucun autre impératif.

Héritages, livre 1Où les histoires vivent. Découvrez maintenant