Partie 4

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 (Point de vue d'Anastasya)

Je m'écarte des listes. Kira Hamshire. Je cherche dans ma mémoire, je n'ai jamais entendu ce nom. Kira. C'est un prénom étrange. J'attends que la foule d'élèves se disperse. C'est alors que je la vois. La fille aux yeux gris s'avance vers moi, d'un pas très hésitant. Oh non, qu'est ce qu'elle me veut celle-là ? Elle voit pas que j'attends quelqu'un ?

- Anastasya ?

Elle me parle. SOS. Elle a dit mon prénom. Je ne sais pas quoi répondre. Je vais faire la garce, comme d'habitude. Je lève les yeux au ciel et dit théâtralement :

- Oui c'est moi, au moins je vois que tu as appris mon prénom !

Elle ne semble pas démontée pour autant. Elle me regarde droit dans les yeux. Un léger frisson parcours ma colonne vertébrale. J'ai l'impression que les deux rayons gris de ses pupilles arrivent à lire au plus profond de moi. Elle me parle lentement, comme à un enfant en bas âge.

- Tu ne veux pas connaître mon nom ?

Je roule les yeux plusieurs fois. Ma réponse est acerbe, comme une pique sur ma langue.

- Non, j'en ai strictement rien à foutre.

- Je m'appelle Kira Hamshire.

Mon estomac tombe au fond de mes chaussures à talons. Je ne relève même pas le fait qu'elle n'ai pas écouté ma réponse. LA FILLE AUX YEUX GRIS = KIRA HAMSHIRE. Je n'en reviens toujours pas. Je vais devoir passer la journée entière avec elle. C'est un cauchemar. Je ne sens plus mon poul. Je vais faire un malaise, c'est sûr. Je cherche désespérément un échappatoire. Mais il n'y a aucune issue. Je vais devoir me plier aux règles, comme tout le monde.

**

Je m'assois face à Kira. Je ne lui ai pas encore dit un mot, et elle non plus. Je l'ai suivie en silence jusqu'à la bibliothèque. Elle est plongée dans un livre. Voltaire je crois. Je détaille son visage. J'ai mal de dire ça, mais elle est vraiment belle. Et elle ne le sait pas. Son visage blanc est parfaitement lisse, encadré de longs cheveux bouclés, d'un noir de jai.

- Ca vient d'où le prénom « Kira » ?

Je suis moi-même stupéfaite de mon geste. J'ai engagé la conversation avec elle. Ma victime. Elle lève ses grands yeux gris sur moi. Sa voix est très douce, je suis obligée de tendre l'oreille pour entendre sa réponse.

- Kira signifie « soleil ». C'est un prénom d'origine russe. Comme Anastasya.

- Wow. Tu es d'origine russe ?

- Ma mère est russe. Elle s'appelle Elena. Mon père est américain. Et toi ?

- Non, mon père est suedo-américain, et ma mère est bulgare. Ils m'ont appelé Anastasya parce qu'ils ont toujours aimé la culture russe et ont vécu à Saint Pétersbourg plusieurs années.

Je ne comprends pas. Je suis en train de parler de ma famille, chose que je ne fais jamais, à cette fille que je hais. Et le pire, c'est que le courant passe bien entre nous. Ses grand yeux et sa douceur apaisent ma rage et ma colère. Je suis perdue.

(Point de vue de Kira)

Je regarde Anastasya de haut en bas. Elle n'a plus rien du rapace qui m'intimide autant. Je me demande ce qui la pousse à être aussi méchante au quotidien. En faite, je suis quasiment sûre de savoir ce qui la pousse à être ainsi. La douleur. Elle se forge une mur pour être inaccessible. Je sais très bien ce que l'on est capable de faire pour soulager la douleur. Anastasya a choisi de fuir en étant magnifique, de fermer son cœur à quiconque tout en pénétrant le cœur de tout le monde. Elle est stupéfiante. Elle doit avoir un énorme secret. Ma trachée se serre légèrement. Moi aussi j'aurais pu faire ça, pour protéger le mien. Devenir comme elle. Devenir une putain de salope. Mais je n'ai pas les épaules assez larges. Moi j'ai appris à vivre avec la douleur. Elle m'enveloppe, comme un manteau dans la nuit d'hiver. Je crois même que j'en suis arrivée à aimer ma douleur. C'est mon seul compagnon, ma seule amie. Anastasya a fait de sa souffrance une armure. J'ai fait de la mienne un pilier pour ne pas m'effondrer.

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