Chapitre 6 : L'Alba Rupes

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Abba intervint :

– À ce moment-là, je demandais à Jawaad s'il fallait cogner ou négocier, c'est cela ?

– Je crois bien, en effet ! Et il se trouve que je me suis dit que je pouvais peut-être tenter un peu de diplomatie. Toujours est-il que je me suis avancé devant ce sergent, tout sourire, pour lui proposer de tout lui expliquer. Il était vraiment très contrarié et vraiment très, très, désireux de se faire bien voir ; et en général dans ces cas-là, on devient un peu idiot. C'est là, alors que je venais à peine de commencer à parler, qu'il m'a giflé, plutôt durement.

Damas tira un sourire aux sourcils froncés :

– Un mora élevé chez les moras. On se demande où l'Élegio recrute. Dans une bauge ?

– Je n'ai pas trop eu le temps d'y penser. Je suppose que j'étais un peu étourdie par la gifle ; tout ce que je sais, c'est que mon corps a su exactement quoi faire, alors que je crois que si j'avais eu les idées claires, je n'aurais peut-être pas osé. Je lui ai attrapé le bras et j'ai refait la clef que Jawaad m'avait apprise.

– Ha, d'accord ! C'est comme ça que ça a commencé, alors ? commenta Abba.

– Exactement, répondit Damas. Tu sais maintenant que tu t'es battu pour l'honneur de notre dévouée et ravissante comptable.

– Oui, mais parce qu'elle a répliqué comme une furie !

Alterma avala une gorgée de vin puis répondit, un peu confuse :

– J'avoue, je n'y ai réfléchi qu'après-coup ; mais il n'avait aucune raison de me gifler !

Abba lâcha enfin un sourire sur son faciès bestial :

– J'admets... il l'a bien mérité, mais sur le coup j'étais un peu embêté. Jawaad venait de dire que ce serait mieux de régler cela sans en venir aux mains, et ne voilà-t-il pas que ce sergent retombe à mes pieds tel un sac et se met à hurler comme un tosh après ses gardes. Il en avait une voix de fillette !

Damas et Alterma éclatèrent de rire de concert, suivis par Joran qui pouffait elle aussi. Jawaad, toujours silencieux et maussade, étirait un léger sourire. La comptable reprit le cours du récit, une fois qu'elle put se reprendre un peu :

– Les gardes arrivèrent alors à la rescousse, bien entendu. Je me reculais aussi vite que possible avant de prendre un mauvais coup alors que c'était un peu la cohue dans le hall, avec tous les notables hésitant entre se reculer prudemment et regarder le spectacle. Je crois que ceux qui ont préféré s'éloigner ont dû le regretter, car c'était incroyable !

Damas lâcha avec un large sourire :

– Quoi donc ?

– Mais vous deux ! Sans compter le sous-officier, ils étaient onze, vous les avez renvoyés à leurs baraquements à deux, avec autant de facilité que si vous jouiez aux quilles ! J'avoue, j'ai quand même eu la peur de ma vie ; je ne vous avais jamais entendu pousser un vrai cri de rage, Abba.

Le géant venait de délaisser la chevelure de Joran pour se pencher vers elle, et lui demander d'aller chercher quelque chose à grignoter. La jeune femme fit une petite moue boudeuse ; elle ne voulait pas rater le récit. Elle se fit prier un brin avant de filer, à l'insistance de son maître :

– Tu n'as qu'à faire vite !

Et Abba prit donc son temps, en dégustant son verre, avant de poursuivre :

– C'était un cri de guerre, pas de rage. Ça effraie et déconcerte l'ennemi et cela a plutôt bien réussi. Les deux premiers à me tomber sous la main ont fini une tête contre l'autre et je pouvais passer aux suivants. On a eu de la chance, ils avaient leurs lances, mais ils hésitaient vraiment à vouloir nous blesser.

Les Chants de Loss, Livre 1 : ArmanthOù les histoires vivent. Découvrez maintenant