La nature de Roxane - tome 1 : Maudits

Chapitre 12

CHAPITRE 12

Je bouclai ma ceinture. Je bouclai mes souvenirs. Tous. Il était tellement difficile de devoir quitter mon ancienne vie !

Premier souvenir à graver : ma rencontre avec Clara, à l'âge de six ans. Alors que je tombais dans la boue à cause de la chaussée glissante, et que je m'étais fait des petits bobos aux genoux, Clara avait débarqué, un mouchoir à la main et me l'avait tendu sans un mot. Sa mère, qui lui courait après n'arrêtait pas de râler parce que sa fille lui filait toujours entre les doigts. C'était le début d'une amitié sans fin.

Le paysage encore obscur par la nuit sembla me dire adieu. Des nuages s'élevaient dans le ciel, tristes, reflétant mes sentiments.

Je me demandais à quoi allait ressembler mon nouveau lycée. Si les lampes allaient être suspendues en l'air comme dans le manoir des Jackson. Si l'extérieur semblerait lugubre contrairement à l'intérieur. Je trouvais étrange la façon dont je le comparais à la vieille bâtisse dans laquelle Chad vivait. Peut-être parce que c'était un des seuls endroits où le surnaturel régnait en maître que j'avais rencontré.

Deuxième souvenir à graver : le jour où Billy, le vendeur dans l'épicerie du coin m'avait offert une sucette et m'avait dit : « Ça, c'est pour les enfants sages et courageux. », lors de ma rentrée en sixième, alors que je venais de perdre ma grand-mère.

Mes parents, assis à l'avant se retournèrent et me lancèrent un regard compatissant. Je me forçai à sourire, bien que j'aie envie de me jeter dans leurs bras et de pleurer.

- Tu es prête ? me demanda ma mère.

Prête ? Non je ne l'étais pas. Mais si je me mettais à réfléchir, je pense que je ne l'aurais jamais été. Alors, à contrecœur, je répondis :

- Il le faut bien.

- Nous sommes désolés Roxane. Si nous avions eu le choix, nous t'aurions laissée continuer ta vie ici.

La phrase rebondit dans mon cerveau.

Avaient-ils été contraints ? Si non, pourquoi le faisaient-ils ? Cela avait-il un lien avec cette « malédiction » ?

Troisième souvenir à graver : Première dispute avec Clara. Nous nous étions fâchées parce j'avais perdu sa gourmette, qu'elle m'avait confiée pour la donner à son « amoureux ». Nous avions huit ans.

Je fixais le paysage répétitif défilant à travers la vitre. Arbres, plaines, ciel gris, arbres, plaines, ciel gris, arbres,...

Ma vue vampirique me permettait de cerner chaque détail : les arbres arboraient des teintes plus ou moins vertes, les plaines semblaient peu attrayantes à cause de l'herbe défraîchie et des vieilles clôtures en bois délabrées, le ciel comportait plusieurs sortes de gris, allant du plus clair au plus foncé, et une douce bruine tombait. La route était déserte, comme délaissée.

Je gravai le quatrième souvenir, que jamais, jamais je ne voudrais oublier. Le visage de Clara, pâle et lumineux, joyeux et déterminé. Ma meilleure amie.

Cela faisait plus d'une heure que nous roulions et les nuages étaient toujours présents. Mon désarroi aussi. Ils semblaient s'être alliés afin de rester de pied ferme jusqu'à mon désistement. Si j'avais eu cinq ans, je me serais jetée par terre et je n'aurais pas arrêté mon caprice jusqu'à ce que mes parents cèdent. Mais je n'avais plus cinq ans. Et mes parents n'y étaient pour rien.

Si seulement nous pouvions faire demi-tour et rentrer à la maison...

Soudain, mon père freina brutalement et manqua d'entrer dans la voiture d'en face. Je fus secouée d'avant en arrière avant de reprendre mes réflexes et voir comment allaient mes parents. Un peu secoués, mais bien apparemment.