Chapitre 1: Offre

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Le viking avançait seul sur la route boueuse, son drapeau blanc–un bout de tissu grisâtre attaché à une branche–pendant lamentablement sous la pluie.

Sans son épée, il se sentait nu. Il avait refusé de la porter; on la lui aurait prise de toute façon. Il l'avait offerte à son frère, Olaf, comme gage d'estime et d'affection, en souvenir de lui. Ses chances de survivre à ce jour étaient minces et il l'avait accepté. Avant le coucher du soleil il serait avec les dieux dans le Valhalla. Mais d'abord il devait délivrer son message.

Il s'arrêta devant les lourdes portes, seule entrée de la palissade entourant le village. Depuis les tourelles les sentinelles l'avaient certainement remarqué. L'eau glacée et boueuse du fossé extérieur bloquait son chemin. Il attendit, tentant de contrôler les frissons: ils pourraient les prendre pour de la peur.

«Qui êtes-vous et que voulez-vous?»

«Je viens en paix. J'apporte un message de mon chef Sven Gunnarsson pour le duc. Je suis seul et sans arme, laissez-moi entrer. » Son anglisc était hésitant mais correct.

«Attendez là.»

Il suivit leurs instructions. Au moins ils ne l'avaient pas renvoyé. Il regarda le ciel, sombre et menaçant, comme si la mort était déjà là, en embuscade. Pourrait-il jamais assez remercier Sven de lui avoir donné une chance de mourir en guerrier, lui qui avait été banni pour ses crimes? Il ne pouvait se permettre d'échouer.

Un lourd panneau de bois s'ouvrit en grinçant. L'homme se redressa, franchissant le pont-levis aussitôt le fossé recouvert . A peine était-il dans l'enceinte que deux gardes se matérialisèrent à ses côtés. Un autre apparut devant lui, lui faisant signe de le suivre.

Ils avancèrent en direction de la forteresse, empruntant un chemin boueux serpentant entre des maisons de torchis. Le guerrier foudroya du regard les quelques habitants qui eurent le courage de poser les yeux sur lui.

Chrétiens! Ces gens étaient sales et l'endroit mal tenu. Le cœur battant, il se souvint de sa ville natale, si propre et organisée, longues maisons soigneusement alignées le long de rues larges et bien droites. Jamais plus il ne reverrait une terre civilisée. Quels sauvages! Son peuple leur ferait une faveur en les prenant en main.

En peu de temps ils atteignirent la résidence du seigneur, un ancien fort romain également défendu par un fossé et un pont-levis. Le garde de tête brailla des ordres et on les laissa  passer.

Ils traversèrent la cour et entrèrent dans le bâtiment central, une vaste tour de bois à trois niveaux. Il fut emmené au premier étage et poussé dans une vaste pièce richement décorée. D'épais rideaux de cuir masquaient d'étroites fenêtres, bloquant la route au froid humide qui régnait dehors et un feu rugissait dans l'âtre, apportant lumière et chaleur. Un homme flanqué de deux gardes était assis sur une chaise à haut dossier, mains crispées sur les accoudoirs sculptés. À sa posture hautaine et ses riches vêtements, le messager devina qu'il s'agissait du duc.

L'homme s'inclina, dissimulant son mépris. Ethelred, ealdorman du comté de South-Anglia, avait une réputation de cruauté et d'ambition. Il avait récemment conduit une expédition contre des villages danois derrière la frontière nord, ne laissant aucun survivant. C'était un massacre gratuit; ses adversaires n'étaient que d'innocents paysans. Comment pouvait-on être assez lâche pour attaquer des femmes et des enfants? Ils n'étaient pas même apparentés aux raiders qu'il souhaitait punir.

«Un viking hein ? Ce sont les pirates qui vous envoient ? Qu'est-ce que votre voleur en chef peut bien vouloir de moi?»

Le guerrier s'inclina de nouveau. « Mon chef, Sven Gunnarsson, vous offre une trêve. Il ne vous attaquera pas, à condition que vous lui donniez votre fille en mariage, en sus d'une dote convenable. Il vous offrira également sa protection contre d'autres attaques.»

Le rire du duc résonna dans la pièce et les gardes lui firent écho. Le viking resta impassible. On l'avait prévenu de s'attendre à cette réaction.

«Ma fille. À ce criminel ! Quelle audace! Elle est ma seule héritière. Elle épousera un ealdorman ou un roi, non un misérable bandit.»

«Sauf votre respect, s'il en est ainsi pourquoi est-elle toujours fille ? Elle a largement dépassé l'âge des fiançailles et n'a aucun prétendant. Mon chef est un homme riche; elle ne manquera de rien.»

«Elle n'a que vingt-et-un printemps et c'est une beauté. Elle sera bientôt fiancée, et en aucun cas à votre maître. Vous m'avez suffisamment fait perdre mon temps. Portez-lui ma réponse, et dites-lui qu'il ne s'inquiète pas pour ma sécurité. Je suis parfaitement capable de me protéger contre les brigands de son espèce.»

Le duc lui signifia dédaigneusement son congé d'un geste de la main.

Le messager réprima un sourire. La conversation était exactement au point où il devait l'amener.

«Dans ce cas, j'ai instruction de vous avertir que vous avez commencé une querelle d'honneur. Et il sera bien plus difficile de vous protéger de nous que de fermiers désarmés. Vous pourrez toujours ramper dans un trou, ou vous cacher derrière vos hommes comme une pucelle effarouchée quand nous attaquerons. Évitez simplement de salir vos robes quand vous vous trainerez à nos pieds en implorant grâce. Nous préférerions qu'elles soient propres quand nous les offrirons à l'une de nos esclaves. Vous serez si accoutumé à vivre à genoux d'ici-là qu'il vous sera aisé de devenir moine.»

Le teint du duc vira au rouge sombre. Il bondit de son siège et frappa son interlocuteur, ses bagues laissant de profondes entailles dans les joues de l'homme.

«Qu'on l'emmène, qu'on l'exécute et qu'on le décapite. Puis que l'on monte sa tête sur un pieu et que l'on jette son corps hors les murs.»

Sur ce, fulminant, il quitta la pièce.

Le viking éclata de rire. Sa mission était un succès. Sa mort allait offrir à son chef une raison légitime pour attaquer. Le duc venait de courir à sa perte.

The Viking's Hold (La Poigne du Viking) FrançaisOù les histoires vivent. Découvrez maintenant