Dans la longue tradition rabbinique du savoir-faire en matière de golems, il existe de nombreuses variations pour fabriquer de telles créatures.
Le plus commun et le plus simple à fabriquer est sans conteste celui en terre glaise mais – on le sait – cela donne des êtres frustres, gauches et violents. On en connaît de multiples exemples.
Le golem de papier a, quant à lui, des qualités bien moins connues.
Comme on le devine aisément, le golem de papier est conçu à partir de pâte à papier, provenant idéalement de livres imprimés. Si la procédure est correctement suivie, il pourra même être doué de parole, celle - évidemment - des ouvrages dont il est constitué. Et si l’on utilise des pages d’un livre de littérature soutenue, il aura toutes les chances d’être poli et cultivé. A l’inverse, des phrases maladroites voire grammaticalement incorrectes risqueront d’en faire un monstre corrompu, boiteux ou vulgaire.
Le choix de la matière première est donc primordial pour cet exercice. Pour le reste, la méthode est relativement simple : l’âme du golem est confectionnée à partir d’un bout de bois que l’on enrobe de couches successives de feuilles de papier mouillé, collées les unes aux autres, puis séchées au dessus d’un feu de branches. Sur ces deux derniers ingrédients, les commentaires de l’exégèse hébraïque autorisent diverses variantes : certains ne jurent que par l’utilisation d’eau de pluie, quand d’autres préfèrent l’eau de source ; quant à la phase de séchage, étant donné que c’est elle qui fera respirer la créature, il convient de veiller à utiliser un bois sec et sans mousse, de sorte à produire des fumées bien claires. Tous s’accordent sur ce point, même si l’on recense ici ou là dans la littérature des conseils sur telle ou telle essence de bois pour en favoriser les humeurs.
Mais pour son âme également, le bois a une importance prépondérante ; c’est lui qui donnera la tempérance de la créature. Une branche souple de peuplier donnera un être vif et empathique, qui saura s’adapter aux turpitudes d’un monde auquel il n’est pas préparé ; le chêne conférera un caractère plus rigide, mais vigoureux et bien organisé. Quant aux essences résineuses, elles sont à proscrire de toute évidence, la sève finissant toujours par engluer les membres du golem.
Pour le reste, couche après couche, il s’agit d’un processus long et délicat, mais relativement facile. Il s’agit de choisir précisément les pages une à une, de les tremper puis de les assembler jusqu’à ce que l’on parvienne à conférer à la structure une allure humaine. Le papier mouillé devenant une sorte de boue qu’il convient de pétrir mollement, tout en veillant bien à ne pas déchirer les pages, au risque de perdre l’effet voulu par ces mots-là.
Il va de soi que plus le modelage est réussi et plus le golem sera habile, poli, bienveillant et cultivé.
Car le golem de papier a bien d’autres qualités que celui de terre glaise : une fois la vie insufflée en lui, il sera capable de lire, de parler et de converser avec le plus érudit, si tant est que ce dernier croit en cette science, évidemment. Il devient alors un compagnon de pensée idéal pour tout rabbin un tant soit peu curieux.
Rabbi Sakharine en était justement arrivé à ce stade de connaissances et de réflexions.
Du haut de ses quatre-vingts ans, il avait déjà connu bien des turpitudes dans ce monde étrange qui l’entourait et qu’il comprenait de moins en moins. La petite île de Venise où il avait toujours vécu lui semblait suffisamment coupée du monde pour ne pas avoir à s’en préoccuper. Il sortait peu, se délectant de sa vaste bibliothèque, dernier rempart contre la barbarie qui gagnait inéluctablement du terrain partout autour de lui. Mais il était bien décidé à ne pas se laisser distraire dans ses recherches, fût-ce par des bruits de bottes toujours plus proches.
