Chapitre 20

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CHAPITRE 20

Je pris garde de lâcher Antonio sans enfoncer mes ongles dans son cou, auquel cas ils ressortiraient ensanglantés et tous mes efforts auraient été vains.

Chad l'immobilisa en quelques paroles incompréhensible avant de se précipiter vers la salle de bain. Celle-ci étant verrouillée, je fus plus rapide à briser la poignée, que Chad avec se incantations. Nos mains se touchèrent quand j'entrouvris la porte, et une sensation étrange parcourut mon bras jusqu'à la naissance de mon cou, comme de l'eau qui gagne le sable sec.

La porte s’ouvrit. Lucy, bâillonnée, pieds et poings liés était allongée au sol. Mon cœur s’affola à l’idée que quelqu’un ait pu faire mal à mon amie. Aussi forte que je pouvais sembler, mes jambes se ramollirent. Elle, d'ordinaire si lucide et confiante, semblait horrifiée et à la limite de l'évanouissement lorsqu'elle nous aperçut à travers ses longs cils et ses yeux mis-clos. Des larmes coulaient sur ses joues rosies par la chaleur de la pièce et je me précipitai vers elle pour dénouer ses liens, mais ils ne cédèrent pas. Pire encore, ils étaient imbibés de verveine, et mes mains me brûlaient atrocement. Mais je ne laissai pas tomber. Je m'acharnai malgré les cloques qui s'étaient installées sur mes paumes et mes doigts, sachant pertinemment que j'allais guérir en quelques secondes. Peut-être que Lucy était blessée, et dans ce cas, elle ne se rétablirait pas aussi vite que moi.

- Ils sont ensorcelés, m’informa Chad à l'égard des liens.

Je reculai légèrement en jurant pour le laisser libérer sa sœur.

Touchant presque au but, les yeux de Lucy se révulsèrent et elle s'évanouit. Je pris son visage entre mes mains et lui tapotait les joues, mais elle ne se réveillait pas. Je me relevai, et remplis le gobelet en plastique à côté du lavabo, puis versai de l'eau sur son visage, mais rien n'y fit.

Chad aussi plongea sur sa sœur et je lui demandai, empreinte à de multiples émotions contradictoires :

- Est-ce que le sang de vampire guérit les sorciers ?

Il acquiesça, tellement affolé qu’il ne pouvait plus parler. J’entendais son cœur battre la chamade au même rythme que le mien, contrairement à celui de Lucy, irrégulier. Son teint était devenu livide, et ses lèvres avaient bleui. Les mains tremblantes de Chad soutenaient la tête de sa sœur. Je m’agenouillai devant elle, approchai mon poignet à ma bouche pour y mordre.

Je laissai échapper un cri d’effroi. La marque était réapparue !

- Que se passe-t-il ? s’inquiéta Chad.

Je secouai la tête, et aussi important qu’était mon affolement, je n’en tins pas compte. Je plaçai cette fois-ci mon poignet en ignorant la trace noirâtre. Lorsque mes canines descendirent, je mordis jusqu’à ce que le sang parvienne sur ma langue.

Je posai mon avant-bras contre les lèvres de Lucy, prenant soin à ce que le sang pénètre dans sa bouche.

Peu à peu, la sorcière reprit des couleurs et ses cils papillonnèrent. Je l'enlaçai dès que ses doigts remuèrent, soulagée et consciente de son bouleversement. Chad la prit à son tour dans ses bras et leur amour fraternel m’émut. Je n’avais ni frère ni sœur et je n’avais donc pas cette expérience de protection.

Les yeux brillants, elle murmura un remerciement sincère.

- Puis-je te voir une minute ? me demanda Chad.

Il m'avait donné rendez-vous devant le lycée juste après sa réunion de sorciers et autres bizarreries. Je l'attendais donc depuis une heure, au lieu de me rendre à mon cours de mathématiques, assise sur un blanc, les yeux fixés sur la marque qui avait à nouveau disparu de ma main.

- Bien sûr.

Il m’entraîna vers la forêt. Le soleil filtrait en lambeaux à travers les épais feuillages verts. L’odeur de la terre, de l’eau qui se trouvaient près de nous et des végétaux créent un somptueux contraste enivrant. Nous débarquâmes sur le pré, là où il m'avait entraînée la première fois que nous nous étions retrouvés seuls sur le campus. L'air était frais mais doux en même temps, et le lac brillait de mille feux sous le miroitement du soleil.

J’étais encore sous le charme de la nature lorsque Chad me prit les mains et entrelaça ses doigts aux miens. Il caressait le dos de ma main droite entre mon pouce et mon index, là où la marque se trouvait à nouveau. Je ne me laissai pas distraire cette fois-ci par une vulgaire tâche qui disparaissait aussi vite qu’elle apparaissait. Surtout que je devais faire face à mes sentiments.

- Je suis désolé.

- Pourquoi tu t'excuses ?

- Pour tout ce que je t'ai fait. C'est moi qui t'ai donné cette affreuse migraine le jour de ta transformation, alors que tu n'y étais pour rien de tes sautes d'humeur. J'ai laissé ton père te foutre un calmant dans les veines juste après ça ! Le pire, c'est que j'aurais pu faire quelque chose pour te protéger, t'informer de l'immense changement qui allait tout faire basculer dans ta vie, mais je m'étais attendu à ce que tu réagisses autrement.

- Comment...

- Attends, je n'ai pas fini, m'interrompit-il. Je m'en veux aussi d'avoir essayé de me venger au bal, en y allant avec Sally, parce que tu avais dit oui à Aaron avant moi. Je m'en veux de t'avoir embrassée le jour de ta cérémonie de bienvenue, alors que tu ne comprenais pas grand-chose encore à ce monde étrange, et que tu semblais perdue au point de vouloir disparaître. Je m'en veux pour tant de choses, Roxy, et je te demande pardon.

Prise d'un élan impulsif, je pressai mes lèvres contre les siennes, emportée par un flot de joie et de résignation. Non, je n'en voulais pas à Chad, d'avoir fait des choses auxquelles il n'avait peut-être pas réfléchi. Je ne pouvais pas dire mieux de mon cas, alors je me sentais tout à fait capable de pardonner quelques erreurs. Il prit mon visage entre ses mains et je posai les miennes sur son torse dur et musclé. Mes cheveux se mêlaient à ses doigts tièdes et d'un confort inouï, et mes lèvres se frottaient aux siennes dans une harmonie parfaite.

Soudain, une odeur forte de sang jaillit, et je me figeai. Mon cœur loupa un battement et mes canines s’acérèrent.

- Roxy, tu vas bien ?

Pour toute réponse, je ne parvins qu’à émettre un râle sourd. Chad m’attrapa le poignet, mais je me dégageai de son étreinte avant de m'enfuir dans la forêt, esquivant chaque arbre qui se dressait sur mon chemin, traquant la personne dont émanai le sang.

Je manquai trébucher sur une racine d’arbre et bifurquai de l'autre côté. L'odeur se faisait plus présente et forte. Elle m'appelait. Et je répondais.

Je finis par dénicher ma proie, fière de ma trouvaille et animée d'un instinct animal.

C'était une biche.

Ensanglantée.

Morte.

La nature de Roxane - tome 1 : MauditsOù les histoires vivent. Découvrez maintenant